Revue de littérature #16

Podcast France Culture : Que signifie concrètement une politique de sobriété ?

Le terme de sobriété ferait peur : faut-il le remplacer ? Comment articuler sobriété et efficacité ?

Le terme de sobriété - même s’il est de plus en plus employé ces derniers temps par toute une catégorie d’acteurs, y compris désormais des chefs d’entreprise et des membres du gouvernement – fait souvent peur. Il transporte en effet avec lui une image de réduction, de rationnement, d’interdiction, bref de renoncement. C’est sans doute pour cette raison que certains évitent encore de l’utiliser, tout comme le terme de décroissance, de peur de démotiver nos concitoyens.

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"Parler gentiment a montré ses limites" : face à la crise écologique et climatique, des scientifiques racontent pourquoi ils entrent en rébellion

Article rédigé par Thomas Baïetto.
Publié le 16/10/2022.

"Les scientifiques sont ignorés"

Alors que les émissions de gaz à effet de serre, moteur du réchauffement climatique, continuent de grimper et les espèces animales, de disparaître, de plus en plus de chercheurs ne veulent plus se contenter de chroniquer, rapport après rapport, une catastrophe écologique annoncée. Regroupés sous le label "Scientist rebellion - lien externe", ils participent activement aux actions des ONG écologiques, quand ils ne les organisent pas eux-mêmes. Depuis la mi-octobre, de nouvelles actions sont organisées un peu partout dans le monde, à Toulouse, Paris et bientôt en Allemagne, pour remettre la pression à quelques semaines de la COP27 qui se tiendra en Egypte et réclamer des mesures à la hauteur de l'urgence.

Comment en est-on arrivé là ?

L'inaction des responsables politiques est la première raison avancée par la quinzaine de scientifiques que nous avons interrogés. "Je suis de plus en plus désespéré par l'aggravation des catastrophes climatiques et l'inaction des dirigeants mondiaux", lâche Peter Kalmus, le climatologue de 48 ans qui s'est enchaîné à la porte de la banque JPMorgan Chase, soutien financier des projets d'énergie fossile (charbon, pétrole, gaz).

"C'est non violent et symbolique"

Retrouver du sens et être en accord avec le message scientifique est un autre motif d'engagement. "Continuer à vivre et travailler de la même façon, cela peut donner l'impression que la situation n'est pas aussi grave qu'on le dit. C'est important d'avoir des actions en accord avec ce que l'on dit", estime Jérôme Guilet, astrophysicien, qui juge les actions de désobéissance civile "proportionnées" : "C'est non violent et symbolique par rapport à l'enjeu qu'est la survie de l'humanité." 

Si ce discours est de plus en plus audible et s'il est soutenu, de l'avis de nos interlocuteurs, par une majorité silencieuse de la communauté scientifique, ceux qui s'engagent restent une minorité. La désobéissance civile, avec ses risques judiciaires, n'est pas possible pour tout le monde. "J'élève mon fils seul, à temps plein. Je ne peux pas me permettre d'être en garde à vue, il faut que je rentre lui faire à manger", explique Matthieu Latapy. Ce chercheur en informatique de 47 ans a préféré réorienter ses recherches sur l'efficacité des différents types de manifestations. Pour les plus jeunes, le choix de la rébellion se heurte à la précarité de la profession. Une chercheuse pas encore trentenaire s'interroge sur la suite après avoir participé à plusieurs manifestations : "Bien que l'envie ne manque pas, j'ai un peu peur que ça me ferme des portes. Si je veux tenter le concours du CNRS, je n'ai aucune assurance que ça ne poserait pas problème". Même installés, les plus actifs redoutent des représailles professionnelles. 

"Je ne veux pas nuire au Giec"

Tout le monde ne peut pas, mais tout le monde ne veut pas non plus franchir cette ligne. "Pour l'instant, ma casquette Giec me freine un peu. Même si je ne m'engageais pas au nom du Giec, l'amalgame serait fait et je ne veux pas nuire à l'institution", confie Christophe Cassou, l'un des auteurs du dernier rapport. Le climatologue de 51 ans, très actif pour sensibiliser les élus, se demande aussi comment rester "crédible" dans ce travail avec l'étiquette "désobéissance civile" et s'interroge sur l'endroit où être "le plus efficace". "

L'illusoire neutralité scientifique

Au-delà de ces critiques, personne au sein de la communauté scientifique ne pointe du doigt la question de la neutralité, le fait qu'un chercheur ne devrait pas s'exprimer publiquement ou donner son avis. Cet argument est pourtant régulièrement avancé par les détracteurs des scientifiques que nous avons interrogés. Pour ces derniers, cette neutralité est une illusion.

Tous appellent donc à ne pas confondre la méthode scientifique, basée sur la relecture par les pairs, sur des données et un processus transparent, avec cette prétendue neutralité.

Une efficacité à démontrer

Reste une question sans réponse. La "rébellion" des scientifiques est-elle efficace ? Dans son dernier rapport (PDF, en anglais), le Giec constate que les "actions collectives" "soutiennent les changements systémiques", en donnant l'exemple des grèves de la jeunesse pour le climat. "Les scientifiques jouissent d'un certain niveau de confiance. On doit s'en servir pour appuyer des demandes de transformation forte", estime Kévin Jean, l'épidémiologiste. Pour Elodie Vercken, directrice de recherche à l'Inrae, cette implication des scientifiques permet de balayer "les préjugés envers les personnes qui s'engagent". 

Sous cette bannière, des militants et des scientifiques, comme Julia Steinberger, ont commencé à bloquer périodiquement des axes routiers pour réclamer la rénovation énergétique des logements. Pour la jeune femme, "nous avons toutes les connaissances dont nous avons besoin ; le facteur limitant, c'est la volonté politique et ça ne s'obtient pas en écrivant des rapports".

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Plan de formation à la transition écologique des cadres de l'État : analyse de Juliette Nouel

Post Linkedin de Juliette Nouel, créatrice des ATELIERS de l'ADAPTATION au changement climatique. JOURNALISTE ANIMATRICE de débats sur climat et biodiversité. Animatrice et formatrice de la Fresque du Climat.
Publié le 12 octobre 2022.

On l'attendait. Il a été annoncé ce 11 octobre.
Le plan de formation à la transition écologique des cadres de l'État pour comprendre les trois "crises" du climat, de la biodiversité et des ressources naturelles.

UNE FORMATION EN TROIS ÉTAPES
1. Acquérir les bases scientifiques, avec notamment l'atelier La Fresque du Climat,
2. Comprendre comment on peut passer de 10 tonnes CO2e (moyenne française) à 2 tonnes en 2050 (pour respecter l'Accord de Paris) avec l'atelier 2tonnes,
3. Rencontrer sur le terrain des acteurs qui sont déjà passés à l'action (15 sites déjà identifiés) pour comprendre les ressorts du changement.
A noter : la biodiversité a été largement évoquée sans qu'un atelier spécifique soit à date annoncé, des conférences étant plutôt envisagées.

POUR QUI ?
Il s'agit du "plus grand plan de formation de la fonction publique qui n'a jamais existé" selon Stanislas Guerini.
- D'ici fin 2022 : les directeurs et directrices de l'administration centrale, les cabinets ministériels et leurs ministres.
- D'ici 18 mois : les 25 000 cadres de la fonction publique.
- D'ici 2027 : les 5,6 millions d'agents de l'État.

ON EST EN RETARD
- "On est en retard sur la baisse de nos émissions : on s'est engagés à baisser de - 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990 et il nous reste 7 ans pour baisser de 32 % (23 % étant déjà faits)" a dit Christophe Béchu, qui a souligné l'importance de la prise de conscience des enjeux pour atteindre les objectifs.
- "Nous avons une ambition de transversalité à l'échelle de la fonction publique dans son entier."
- "Ce moment peut sembler anecdotique, mais c'est un moment fondateur que nous déclenchons, à même de bouleverser toutes nos décisions"
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PEUT-ON SE RÉJOUIR ?
Oui. Car la puissance des outils choisis suffira à déclencher un mouvement.

FAUT-IL ÊTRE VIGILANTS ?
Oui.
- Premièrement pour suivre de près le rythme de déploiement.
- Deuxièmement pour veiller à ce que l'Etat donne les moyens humains et financiers pour mettre en oeuvre la transition.
Sinon, gare à la dissonance cognitive pour des millions de fonctionnaires.

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Archive : Climaction, émission diffusée en 2003, un mélange selon Jean-Marc Jancovici, de documentaire, de jeu de plateau, de My CO2 avant l'heure, et de Don't Look Up pour une partie des réactions observées chez les stars invitées. Regarder cette archive peut aider à avoir envie de presser le pas. Il est temps.

Jean-Marc Jancovici : "C'était il y a presque 20 ans. France 2 avait fait une émission à une heure de grande écoute sur le changement climatique : le Climaction. C'était un mélange de documentaire, de jeu de plateau, de My CO2 avant l'heure, et de Don't Look Up pour une partie des réactions observées chez les stars invitées. Hervé Le Treut (dans un reportage) et votre serviteur (en plateau) avaient 20 ans de moins, mais étaient déjà parfaitement casse bonbon avec les "prédictions d'apocalypse" (que nous avions par ailleurs consignées ensemble dans cet ouvrage sorti une première fois en 2001 avant de reparaître dans une autre collection en 2004, et je me suis rassuré (si l'on peut dire) en écoutant le commentaire que j'avais fait sur un bulletin météo imaginé pour 2093 que j'avais trouvé "un peu timide". Je pouvais : l'été dernier a donné lieu à des températures plus élevées que ce qui figurait dans ce faux bulletin météo pour la fin du siècle ! Je me rappelle aussi que cette émission avait fait moins d'audience que le film Bimboland diffusé sur M6 le même jour (film que je n'ai pas vu, mais avec un titre pareil on s'en souvient), et que je m'étais dit en conséquence que de convaincre une chaine de faire une émission sur le changement climatique n'était pas suffisant : encore fallait-il que les gens regardent. Qu'est-ce qui a changé depuis ? En bien, le sujet du climat est devenu beaucoup plus fréquent dans les media et les discours politiques. Des lois ont été votées (en 2005 apparaît dans la loi l'objectif de diviser par 4 les émissions françaises entre 1990 et 2050), un objectif politique d'élévation maximale de la température a été fixé en 2009 à Copenhague (pas plus de 2°C et si possible pas plus de 1,5), des obligations de publication des émissions pour les entreprises et les collectivités sont apparues, le sujet commence à être enseigné dans le supérieur scientifique (encore très peu dans le secondaire et très peu dans le supérieur non scientifique), et une partie du monde économique commence à intégrer le sujet dans ses réflexions pour l'avenir. Des associations et entreprises focalisées sur le sujet sont apparues, dont The Shift Project, qui vient de fêter l'inscription du 20.000è shifter (qui est une shifteuse non ingénieure, le graal !). Mais (car il y a toujours un mais) nous pouvons aussi considérer que nous avons surtout perdu du temps : - la situation climatique s'est fortement dégradée et les émissions planétaires ont augmenté - nos pratiques (économiques, de consommation, culturelles, plans de carrière, etc) sont toujours "orthogonales" aux limites planétaires pour l'essentiel - beaucoup de gens confondent "avoir beaucoup entendu parler de la question" avec "avoir bien compris le problème" - le "n'importe quoi" a largement disparu du côté de la définition du problème pour réapparaître du côté des solutions au problème Regarder cette archive peut aider à avoir envie de presser le pas. Il est temps. "