Echelles et gouvernance des communs

Retour sur le 17e Congrès du RIODD : Communs, communautés, territoires : quelles voies pour les transitions ?

A l’occasion de son 17ème congrès, le RIODD souhaite se saisir de la question pluridisciplinaire des communs, des communautés et des territoires pour explorer les voies vers les transitions qu’appellent les crises (écologique, économique, sociale) actuelles. 

Retour sur la table ronde "Echelles et gouvernance des communs". La question est de savoir comment aborder les problématiques des communs, qui varient en fonction de leur échelle ?

Benjamin Coriat

Économiste français spécialisé en économie industrielle, de l’innovation et de la propriété intellectuelle.

Corinne Vercher-Chaptal

Professeur des Universités - Chargée de Mission SHS Campus Condorcet - Présidente du RIODD

Introduction de Benjamin Coriat

Benjamin Coriat commence par évoquer sa lecture d'Ostrom1. Ostrom ne s'intéresse pas seulement aux petits communs, elle a également travaillé sur l'eau et a fini par se pencher sur le climat. Elle souligne l'importance de l'échelle des communs et insiste sur la continuité des communs, qu'ils soient petits ou grands. Selon elle, il ne faut pas sous-estimer la valeur des petits communs.

L'échelle des communs selon Coriat :

  • Petit commun : il s'agit d'une pêcherie ou d'une ressource commune. Les droits et les obligations sont définis, ainsi qu'une gouvernance pour faire respecter ces règles. Le point central du petit commun est la gestion de l'accès et de la préservation pour les générations futures, tout en précisant l'accès et la qualité du bien pour tous les utilisateurs.
  • Commun de grande dimension : également appelé Open Commons, il s'agit de communs qui ne sont pas gérés par de petites communautés, mais par une réglementation publique (ce qui est le plus proche de la chose commune) : canaux, voies de circulation, réseau hertzien non privatisé. Ces communs concernent des communautés diffuses et non précisées. La réglementation vérifie qu'il n'y a pas d'asymétrie entre les utilisateurs et qu'il n'y a pas de discrimination. Par exemple, les trottoirs ont été réglementés quand les trottinettes électriques ont été introduites.
  • Grand communs : Rodota2 et Ostrom ont proposé des rapprochements. La réponse n'est pas identique mais complémentaire.
    • Rodota : respecter les droits des citoyens à la gouvernance. Cette proposition se distingue des Open Commons.
    • Ostrom : cette proposition va plus loin ou est complémentaire. Elle propose une gouvernance polycentrique. Quand on est confronté à un problème global comme le climat ou l'océan, une réglementation générale peut être mise en place, mais elle ne sera jamais suffisante. Il faut également impliquer les communautés de base et les citoyens pour organiser cette gouvernance polycentrique. Plusieurs entités sont impliquées, toutes ces communautés opèrent sous un ensemble de réglementations et de lois, ont un objectif commun (comme la convention citoyenne climat) ainsi qu'un ensemble de recommandations et d'incitations. Ce n'est pas l'absence de l'Etat, mais l'insertion de réglementations.

Le point central reste l'accès et la préservation de ces biens communs pour les générations futures.

Procès liés au climat

Judith Rochfeld évoque l'affaire du siècle en France1, où l'Etat a été condamné pour « carences fautives » dans la lutte contre le réchauffement climatique.

De plus en plus de procès liés au climat sont initiés par un réseau mondial organisé de citoyens, d'associations et même de groupes religieux. En l'absence d'un tribunal international dédié à l'action climatique des États, comment procéder ? Selon Rochfeld, la réponse est une reterritorialisation du global : chaque société civile nationale s'adresse à son juge pour pousser le gouvernement et les grandes entreprises à agir efficacement contre le dérèglement climatique et à respecter leurs objectifs. Il existe une pression sur chaque juridiction et participation de la société civile. Les arguments sont construits à l'échelle mondiale et circulent rapidement (comme dans la décision Urgenda aux Pays-Bas en 20192), et la société civile les utilise pour saisir les juges.

Il y a une reconnaissance de l'inaction climatique des gouvernements et une entreprise comme Shell est obligée, au même titre qu'un État, de prendre des mesures. L'un des aboutissements de cette pression est la figuration d'une communauté bénéficiaire dans ces procès. Le climat est décrit comme une préoccupation de l'humanité (convention cadre de 20123). Mais il existe un désaccord total entre les pays du nord et du sud.

Rochfled note qu'il y a une représentation d'un bénéfice climatique pour les générations actuelles et futures : la préservation commune de notre système climatique. Cependant, la charge est déséquilibrée pour les générations futures. Cette communauté bénéficiaire ne doit pas être condamnée à vivre dans une austérité totale. La préservation est un devoir de cette génération pour celle à venir.

Il y a une également une figuration d'une génération globale ayant des droits, bénéficiant des droits de protection, avec une lecture intergénérationnelle. Les communautés sont diffuses, l'organisation est polycentrique et la communauté bénéficiaire est multiple.

Communs et État

Benjamin Coriat nous rappelle que les premières actions dans le domaine de la santé ont été entreprises. Cependant, le système de santé ne respecte pas ses obligations et commence à faire face à des procès. On sort de ce face à face État puissant et citoyens dépassés. Ces petites communautés ne peuvent pas y arriver seules et la justice les aide. Il y a un premier niveau qui consiste à réunir ces petites communautés pour qu'elles apprennent les unes des autres, mais cela ne suffit pas.

En France, la question est sensible. D'un côté, il faut que l'État assume ses responsabilités. L'État doit être un facilitateur en créant des règlementations et en rendant possible des choses comme les SCIC (Société Coopérative d'Intérêt Collectif) qui sont des instruments d'intérêt collectif. D'un autre côté, l'État doit être un contributeur en fournissant des ressources financières et intellectuelles. Coriat revient sur Ostrom qui préconise de pousser l'État à devenir un contributeur de ressources.

Il est possible de créer un partenariat public commun pour éviter les désastres liés aux relations insuffisamment pensées entre les communs et les collectivités publiques.

Cependant, il y a des dangers qui pèsent sur les communs. Ostrom évoque huit dangers, Coriat en aborde trois en relation avec l'État.

  • Le premier danger est le blue sky thinking1. L'État fonctionne par des règles et des normes qui peuvent corrompre le commun pour lequel il faudrait des règles spécifiques et dédiées, plutôt que des règles générales.
  • Le deuxième danger est la capture et la corruption. Par exemple, l'État fonctionne par AO (Appel d'Offre) qui peut détourner le commun des besoins du territoire pour se soumettre aux objectifs de la politique publique, néolibérale, de l'AO.
  • Le troisième danger est lorsque l'État se décharge de ses responsabilités et les transfère aux communs à un prix d'une démagogie. Par exemple, en Colombie, les coopératives d'eau assurent la distribution d'eau, mais l'État s'est déchargé de gérer les nappes phréatiques et d'assurer la distribution dans les réserves d'eau.

Selon Coriat, nous sommes à une croisée des chemins en France. Il est important de mettre en place une politique publique organisée et structurée.

Dynamique délibérative, préservation des communs

Des initiatives locales telles que la convention climat émergent. La question se pose de savoir comment 100 citoyens tirés au sort se sont saisis du sujet et ont impliqué les collectivités.

Ces citoyens, pourtant éloignés des enjeux climatiques et démocratiques, se sont investis et ont participé à la réflexion sur une cité du climat. Il est important de donner aux collectivités locales le pouvoir de prendre des mesures descendantes et de s'engager collectivement dans la lutte contre le changement climatique.

Loi sur la vigilance

Judith Rochfeld nous rappelle qu'en France depuis 2017, la loi sur le devoir de vigilance1 soumet les très grandes entreprises à l'élaboration d'un plan de vigilance. Ce plan doit cartographier les risques pour les droits humains et les écosystèmes posés par les entreprises et leurs partenaires. Face à ces risques, un plan d'alerte doit être mis en place. Cette cartographie des risques doit être effectuée en partenariat avec les parties prenantes, internes et externes à l'entreprise, notamment les citoyens et les territoires.

Ce modèle change l'idée de l'entreprise, qui se tourne vers le partenariat avec les parties prenantes. Ce modèle se répand progressivement en Europe, et se discute pour être étendu à des entreprises plus petites, soit par obligation, soit par incitation entreprise/citoyen. La pression citoyenne sur les entreprises et les premiers procès qui ont eu lieu en France contre Total et Casino ont alimenté cette discussion.

Depuis 2017, le bilan de cette discussion intégratrice des citoyens est mitigé voire décevant. Seules les entreprises qui avaient déjà installé volontairement (pour des raisons de communication ou plus profondes) des comités de parties prenantes l'ont fait suite à la loi. Tout l'enjeu est de savoir si l'Union européenne va pousser pour l'obligation de mettre en place ces plans de vigilance. En France, l'incitation n'a pas spécialement fonctionné.

Retranscription vidéo

Echelles et gouvernance des communs

Echelles et gouvernance des communs

Transcription

Echelles et gouvernance des communs :
Benjamin Coriat (USPN), Guiseppe Micciarelli (Université de Salerno), Judith Roschfeld (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), Matthieu Sanchez (Convention Climat) - modération : Corinne Vercher-Chaptal (USPN)