L’intérêt général au prisme des communs

Retour sur le 17e Congrès du RIODD : Communs, communautés, territoires : quelles voies pour les transitions ?

A l’occasion de son 17ème congrès, le RIODD souhaite se saisir de la question pluridisciplinaire des communs, des communautés et des territoires pour explorer les voies vers les transitions qu’appellent les crises (écologique, économique, sociale) actuelles. 

Retour sur la conférence de Fabienne Orsi, "L’intérêt général au prisme des communs : pour quelles transitions ".

Le déjà long chemin des communs

Fabienne Orsi évoque la place centrale d'Elinor Ostrom1 sur les communs financiers qui remet en cause le dogme de la propriété. Elle parle également de la commission Rodota2 qui a permis de considérer l'eau comme un bien commun en Italie. Il y a également le mouvement des logiciels libres et des communs numériques "qui développent une organisation alternative de la vie économique" (Benckler3, 2016).

Orsi parle de l'importance de l'histoire et de sa relecture. L'intérêt des communs permet une nouvelle lecture du Moyen Âge, du 19e siècle et de la Révolution. Il existe des variations d'échelle avec les communs globaux ou plus petits et l’approche polycentrique est fondamentale (comme Ostrom).

Selon Orsi, l'approche des communs permet de revisiter les fondamentaux, d'éclairer des angles morts et d'ouvrir des interstices qui permettent de découvrir de nouvelles possibilités. C'est un nouveau lieu de pensée et un nouvel espace pour "faire" et expérimenter.

Les communs à un tournant

Selon Orsi, les communs sont actuellement à un tournant. Il est crucial de prendre en compte cette intersection des chemins et de continuer à avancer, tout en évitant le risque de se livrer à du "commons washing".

Cette phase est délicate, car les enjeux sociétaux et mondiaux sont importants. Il y a un enjeu politique et conceptuel : il est important de considérer et de construire les communs comme des acteurs déterminants de la transformation sociale.

Quelles transitions ?

Fabienne Orsi pose la question de quelles transitions parle-t-on ?

Selon elle, la transition écologique est actuellement le fer de lance. Cependant, elle ne peut être envisagée sans une transition vers un autre mode de développement, comme en témoignent le changement climatique, la pandémie de Covid-19 ou encore la crise énergétique. Elle ne peut pas se faire sans s'inscrire dans une transition post-capitaliste et sans une transition vers une autre conception de l'État.

Contradiction Commun et Intérêt général

Pour Orsi, il s'agit d'une contradiction a priori dans les termes. Le garant de l'intérêt général est l'État, tandis que les communs sont garants des intérêts d'une communauté strictement délimitée.

Pour elle, l'intérêt général est en conflit avec des définitions opposées enseignées dans l'histoire.

Le moment de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen mette en évidence une opposition de deux traditions républicaines (Y. Bosc et M. Belissa1) :

  • un "républicanisme de marché", fondé sur l'idéologie propriétaire "la poursuite des intérêts particuliers des propriétaires conduit à l'intérêt général".
  • un "républicanisme démocratique", où la propriété est considérée comme une question politique, et l'intérêt général est fondé sur la garantie du droit à l'existence. Les droits attachés à la personne sont plus importants que les droits attachés aux choses.

Selon Orsi, la République n'empêche pas la propriété privée des biens matériels, mais tous les biens qui permettent de garantir l'existence sont considérés comme des propriétés communes à la société. La propriété commune est l'intérêt général, et sa prise en charge relève de l'État social, par opposition à l'état de nature.

Quel est cet État garant de l'intérêt général ?

Orsi présente tout d'abord quelques-unes des transformations majeures du 19ème siècle. On a assisté à la création d'un état centralisé, dont le pouvoir exécutif a été façonné à partir de 1975 sous Napoléon Bonaparte. Il y a eu la mise en place d'un pouvoir administratif et d'un État chargé de protéger les biens publics (Proudhon1, 1843). Le public a été placé sous tutelle, étant considéré comme “incapable d'assumer lui-même les actes nécessaires à la conservation de son domaine. C'est pourquoi l'administration de ce dernier est confiée à l'État, qui exerce ses droits au nom du public “(Xifaras2, 2006). Elle note également que le rôle du citoyen a été remplacé par celui de l'administré.

De l'État-gardien à l'État propriétaire. À la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, un autre moment clé de redéfinition du droit administratif de l'État a eu lieu. Selon Orsi, le principe de l'impossibilité d'une appropriation des biens publics vole en éclats. La théorie de l'État comme personnalité juridique a été développée par Maurice Hauriou3. Le projet était d'unir le droit administratif autour de la notion de droit subjectif de l'État et de transposer la propriété en droit administratif. On assiste à une substitution du public par l’État. La démocratie devient secondaire par rapport à l’État. Le peuple donne son approbation tacite.

Ensuite, la consécration de l'État propriétaire et sa rencontre avec le néolibéralisme ont conduit à une révolution managériale de l'administration. Cela a entraîné l'appropriation par l'État des biens de la communauté des citoyens via la propriété publique.

Enfin, Orsi pose la question suivante : l'État propriétaire est-il soluble dans le "républicanisme de marché" ? Selon elle, les intérêts de l'État sont en contradiction avec ceux des citoyens. Il y a un glissement vers l'idéologie propriétaire et le marché comme garant de l'intérêt général. Le rôle de l'État dans sa définition de l'intérêt général est remis en cause, ainsi que sa défaillance à le poursuivre. Cela se voit avec la multiplication des procès pour inaction climatique ou pour la santé, mais il y a quasi inexistence de mobilisation citoyenne pour la défense d'un service public essentiel.

Pistes pour repenser l’intérêt général à l'aune des communs

Fabienne Orsi propose plusieurs pistes :

  • Désencastrer le public de l'Etat en réinvestissant le mot "public". Il est nécessaire de sortir le public de son statut d'administré non organisé et dépossédé de son pouvoir d'agir pour les affaires de la cité. Le passage du public au commun est une solution, comme l'exemple de Berlusconi et de l'eau bien public / bien commun le montre.
  • Réinstitutionnaliser le lien hors commerce / intérêt général. Les biens et services qui permettent de garantir l'existence relèvent de l'intérêt général.
  • Réinvestir la question des communautés d'usage

Retranscription vidéo

L’intérêt général au prisme des communs

L’intérêt général au prisme des communs

Transcription

L’intérêt général au prisme des communs : pour quelles transitions ? Fabienne Orsi – IRD-LPED-Aix- Marseille Université