Les communs, définitions et courants de pensée

La notion de communs est parfois peu claire et entourée de nombreuses idées reçues. Alors, comment les définir ? Nous constatons qu'il n'existe pas une seule définition, et nous allons présenter les auteurs et courants de pensée qui y sont associés.

Idées reçues sur les communs

Il existe encore de nombreuses idées reçues autour des communs : 

  1. Les communs, c’est le communisme
  2. Les communs, c’est gratuit
  3. Les communs, ça ne marche pas
  4. Les communs c’est moche et ce n’est pas pratique
  5. Communs et échanges monétaires sont incompatibles
  6. Les communs ne fonctionnent que grâce au bénévolat
  7. Les communs, c’est pour les bobos de gauche
  8. L’open source, c’est du commun
  9. Les communs, c’est forcément des initiatives à petite échelle
  10. Les communs ne peuvent pas coopérer avec l’Etat et le marché

    Comment alors définir la notion de communs ?

    Hervé le Crosnier1,  enseignant-chercheur à l’Université de Caen, spécialisé sur les technologies du web et la culture numérique, dans son ouvrage "En Communs"2, nous rappelle la difficulté d'avoir une définition unique. “Il apparaît difficile d’avoir une définition canonique des communs. Malgré un corpus scientifique en augmentation rapide, il subsiste des approches différentes selon les pays, les régions, les cultures... Mais cela est certainement un bienfait : les communs sont avant tout une expérience vécue. Le partage, l’échange non marchand, le don constituent depuis toujours un des socles des sociétés, qui restent pourtant moins reconnu que le marché ou la puissance publique. Il existe trois sphères : le marché, la puissance publique et les communs qui, loin d’être séparés et étanches, ont des zones de recouvrement. Malheureusement, les communs restent trop souvent dans l’ombre, la lumière médiatique, financière, politique..., se portant principalement sur les deux autres sphères.”

    1 Hervé le Crosnier - Page Wikipédia
    2 Le Crosnier, H. (2015). En communs : une introduction aux communs de la connaissance. C&F éditions, 252 p.

    Elinor Ostrom et l’École de Bloomington

    Nous ne pouvons pas parler de Commun sans invoquer Elinor Ostom1, politologue et économiste américaine et Prix Nobel d’économie en 2009 pour son analyse de la gouvernance économique, notamment concernant les Biens Communs2. Benjamin Coriat, économiste français, synthétise la définition d’Ostrom : Les (Biens) Communs sont "des ensembles de ressources en accès partagé et collectivement gouvernées au moyen d’une structure de gouvernance assurant une distribution des droits et des obligations entre les participants au commun (commoners) et visant à l’exploitation ordonnée de la ressource, permettant sa reproduction dans le long terme3"

    Elinor Ostrom propose donc une approche politique du partage des ressources. Il s’agit d'une gestion “polycentrique” (réseau de différents “groupes de choix collectifs”) des biens communs (des biens ni privés, ni publics, mais des biens qui demandent le partage d’une ressource commune).

    1 Elinor Ostrom - page wikipedia
    2 Ostrom, E. (2010). Gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles. De Boeck Supérieur. 301 p.
    3 Cornu, M., Orsi, F., Rochfeld, J. (2017). Dictionnaire des biens communs. 1392 p. Définition du commun (approche économique) par Benjamin Coriat

    Ostrom face à la tragédie des communs

    La tragédie des biens communs est un concept tiré du livre de Garret Hardin1, écologue américain, "The Tragedy of the Commons", paru en 1968. Il est utilisé pour évoquer les conséquences néfastes résultant du mélange de la recherche de profit individuel et de l'utilisation de ressources communes gratuites.

    Le texte de Garret Hardin est traduit pour la première fois en intégralité en 2018. Dominique Bourg, universitaire français, indique sur la dernière page de couverture, que "l’ouvrage nous explique ce qu'il appelle la logique ou la mécanique des communs et son issue tragique : comment une situation de libre accès à une ressource limitée, et pour laquelle la demande est forte, mène inévitablement à sa surexploitation puis à sa disparition. Pour Hardin, passé un certain seuil numérique et démographique, la poursuite rationnelle par chacun de son intérêt débouche sur la destruction du bien communément utilisé. Dans une telle situation, le progrès technique devient alors un accélérateur d'épuisement irréversible, et non plus une réponse à un problème. Dès lors, il apparaît que certains problèmes ne disposent d'aucune solution technologique, et que les biens communs demandent une gestion et une législation particulières, devenues urgentes."

    Dardot et Laval : la praxis du commun

    En 2014, Pierre Dardot et Christian Laval dans leur ouvrage "Commun - Essai sur la révolution du XXIe siècle"1, nous montrent pourquoi ce principe s'impose aujourd'hui comme le terme central de l'alternative politique pour le XXIe siècle. Selon les auteurs, "le commun ne tient ni de l'essence des hommes ni de la nature des choses, mais de l'activité des hommes eux-mêmes : seule une pratique de mise en commun peut décider de ce qui est « commun », réserver certaines choses à l'usage commun, produire les règles capables d'obliger les hommes."

    Pour Pierre Sauvêtre, docteur de l'IEP de Paris qualifié en science politique, sociologie et philosophie, Dardot et Laval définissent d'abord “le « commun » comme « le principe politique d'une co-obligation pour tous ceux qui sont engagés dans une même activité » au sens où l'obligation réciproque qu'il y a à agir suivant les règles qu'une communauté politique s'est donnée, ne saurait être fondée ni sur une appartenance identitaire quelconque (ethnique, nationale, etc.) ni sur la fiction juridique d'un « contrat social », mais seulement sur la participation à une même activité ou à une même tâche. C'est définir d'emblée le « commun » comme une forme de l'agir - une praxis - et non comme une forme de l'être ou de l'avoir. “ Selon lui, leur ouvrage “est surtout un effort philosophique d'élaboration originale du concept de « commun ». Son apport majeur est de faire du commun un objet de réflexion directement politique, et pas seulement économique ou juridique. Il ne se présente donc pas comme une réflexion purement abstraite, mais comme une tentative pour proposer un cadre théorique à différents mouvements qui depuis les années 1990 ont donné une dimension directement politique à la problématique du commun dans le cadre de luttes contre les politiques néolibérales. Le concept de « commun » se trouve ainsi à la croisée d'une alternative au néolibéralisme et d'une rupture avec le communisme.”2

    1Pierre Dardot, Christian Laval, Commun - Essai sur la révolution au XXIe siècle, La découverte, Collection : Hors collection Sciences Humaines, 2014
    2 Pierre Sauvêtre - Le commun commun contre l'État néolibéral - 2014

    Les enclosures

    La question des enclosures est centrale dans la définition des Communs. Selon Wikipédia, "le mouvement des enclosures comprend les changements qui, dès le xiie siècle et surtout de la fin du xvie siècle au xviie siècle, ont transformé, dans certaines régions de l'Angleterre, une agriculture traditionnelle dans le cadre d'un système de coopération et de communauté d'administration de terres qui appartenaient à un seigneur local  (généralement des champs de superficie importante, sans limitation physique). Cela a abouti à limiter l'usage de ces terres seigneuriales à quelques personnes choisies par le propriétaire : chaque champ étant désormais séparé du champ voisin par une barrière, voire une haie comme dans un bocage.Les enclosures, décidées par une série de lois du Parlement, les Inclosure Acts, marquent la fin des droits d'usage, en particulier des communaux, dont un bon nombre de paysans dépendaient. Karl Marx considère que ce bouleversement économique et juridique est un point de départ du capitalisme".1

    Lionel Maurel, juriste, conservateur de bibliothèques et cofondateur du collectif SavoirCom12 , dans son article de 20153 insiste sur le degré actuel de la notion d’enclosure. Il donne en exemple la définition de communs par le Conseil National du Numérique4 en 2015 : Les “communs” (ou biens communs) sont des ressources gérées par une communauté, qui en définit les droits d'usage, organise son propre mode de gouvernance, et défend les ressources contre les risques d'enclosure. Il peut s'agir d'une communauté locale gérant une ressource matérielle (ex : un jardin partagé) ou d'une communauté globale gérant une ressource immatérielle (ex : Wikipédia). L'approche par les communs constitue une alternative à la gestion par l'État ou par des acteurs privés. Il constate donc que cette définition fait explicitement référence au concept « d’enclosure », entendu comme une menace à l’existence d’une ressource instituée en bien commun.

    Caractéristiques des communs

    “Chaque commun est un cas particulier” relevait Elinor Ostrom. Tout d’abord pour analyser et définir un commun, il faut prendre en compte 4 éléments :

    • la nature de la ressource offerte en partage

    • les risques d'enclosures sur cette ressource

    • les règles de droits et les formes de propriété qui s’appliquent et le cas échéant les contrats ou licences qui organisent les conditions de partage du commun

    • les formes de gouvernance adoptés par les communautés gérant de commun spécifique

    Pour Hervé Le Crosnier, il faut prendre en charge des ressources pour les transformer en communs, en mobilisant l’activité des usagers, en réfléchissant au travers de la construction du commun avant celle de l’échange (le marché) ou celle de la planification par la puissance publique.1

    1 Le Crosnier, H. (2015). En communs : une introduction aux communs de la connaissance. C&F éditions, 252 p.

    Points clés pour définir un commun

    Numériques En Communs1, rassemblement qui accompagne les médiateurs, les collectivités et les entreprises qui souhaitent développer un numérique d’intérêt général inclusif, éthique et durable, nous livre des points clés pour définir un commun.

    Caractéristiques du commun :

    • Non rival : L’usage de la ressource par les uns ne diminue pas les possibilités d’usage par les autres.
    • Non exclusif : La préservation de la ressource ne passe pas par la réservation du droit d’usage à une communauté restreinte

    Des acteurs hétérogènes

    Le commun vit au travers de sa communauté. La communauté est propre à chaque commun et est composée d'acteurs diversifiés. Suivant le commun, les acteurs hétérogènes s'organisent différemment, pouvant cumuler plusieurs fonctions. Particuliers / Collectivités / Entreprises / Associations

    Des fonctions (cumulatives et non exhaustives) au sein de la communauté :

    • L’utilisateur : Qui a l'usage final de la ressource.
    • Le contributeur : Qui donne à la ressource, du temps ou de la matière, par des propositions d'évolutions, des remontées de bugs, de la création de documentation.
    • Le mainteneur : Qui a une vision globale du projet, et de la stratégie de développement du commun. Il s’assure que le commun soit pérenne en travaillant tant du côté de la ressource que de la communauté.
    • Le garant : Qui donne du crédit au commun, par la stature importante de son organisation, comme un ministère, un gouvernement, ou un important acteur privé.

    Importance de la communauté et ses contributions

    La communauté, sa dynamique et sa taille, sont des facteurs importants de l'attractivité et de la pérennisation du commun. Plus la ressource reçoit de contributions, plus elle offre de fonctionnalités, plus elle est attractive, plus sa communauté augmente et plus la ressource reçoit de contributions.

    Törbel : un commun qui fonctionne depuis 800 ans

    En Suisse, le village de haute montagne Törbel, étudié par Elinor Ostrom, suite aux travaux de l’anthropologue américain Robert McCorkle Netting1 dans les années 1970, est un parfait exemple d’un système de ressources communes durables, auto-organisées et auto-gouvernées. "Des document écrits officiels remontant à 1224 fournissent des informations sur les types de régimes, les transferts fonciers, les règles utilisées par les villageois pour réglementer les types de propriété communales comme les prairies alpine, les forêts, les systèmes d’irrigation, ou encore les routes et chemins reliant les propriétés privées et communales. En 1483, les habitants du village signèrent des dispositions instituant officiellement une association dont le but était d’assurer un meilleur niveau de réglementation. Les statuts du village sont votés par tous les habitants. Des assemblées annuelles sont organisées pour discuter des règles et des politiques générales et élire les agents publics.2" Aujourd'hui encore, ce village est un modèle, notamment pour la bonne gestion de l’eau et la qualité de ses registres de données.

    Les communs de connaissances

    Le principe fondateur de l'existence des communs de la connaissance a été soutenu en 2006 par Elinor Ostrom et Charlotte Hess dans un ouvrage intitulé "Understanding Knowledge as a Commons"1.

    Pour Charlotte Hess, la connaissance y est décrite comme "une ressource partagée, un écosystème complexe se heurtant à des dilemmes sociaux". Les communs de la connaissance sont des ressources partagées par un groupe de personnes et qui sont vulnérables aux dégradations et aux enclosures.

    Selon Stéphane Couture, Universitaire à Montréal, "ces « nouveaux communs » se distinguent des biens communs naturels ou matériels par le fait qu'ils ne sont pas rivaux, c'est-à-dire que leur utilisation par les uns ne diminue pas la valeur des biens ou n'entrave pas leur utilisation par les autres (au contraire d'un potager, par exemple, où une cueillette par les uns réduit le nombre de légumes disponibles pour les autres)"2.

    Les biens communs de la connaissance peuvent comprendre des œuvres de création littéraire ou artistique, des ressources éducatives, des publications ou des données scientifiques, etc.